AGONY

1992 - Art & Magic / Psygnosis

Ecran-titre Ingame

Arrivé dans ma boite aux lettres encore enveloppée de son cellophane d'origine, cette magnifique boite d'Agony m'a été généreusement offerte par l'un des deux talentueux graphistes du jeu, Marc Albinet (Photo)

J'avais contacté le sympathique personnage dans le but de mener une interview au sujet du jeu, qui paraitra d'ailleurs par la suite dans Pix'n Love N°8 (extrait de l'article)

Si la volonté de conserver l'objet intact dans sa condition n'a bien évidemment pas permis de découvrir son précieux contenu, cette petite frustration a cependant été largement compensée par la découverte inattendue de documents manuscrits originaux joints au colis (feuille 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 et 8). Représentant les croquis de l'introduction animée qui ne fut, hélas, jamais incorporée au jeu, ces archives inédites se révélaient alors une véritable caverne d'Ali baba aux trésors inestimables.

Un grand merci à Marc pour cette contribution riche et inespérée !

Pour la petite histoire, depuis cette expérience Agony, une amitié entre Marc et moi s'est depuis installée, conduisant à de nombreux autres articles pour Pix'n Love portant sur des jeux Amiga auxquels il a participé tel qu'Unreal ou encore Ilyad. Marc a également participé à la Bible Amiga en rédigeant une nouvelle futuriste captivante et gorgée de nostalgie.

Ci-dessous, les clichés de la boite encore sous cellophane, ainsi que les documents originaux de l'introduction avortée du jeu :

Et voici le texte de l'article que j'ai rédigé pour Pix'n Love N°8 :

AGONY

En son temps, l’Amiga a très souvent été la machine de tous les exploits, et nombreux sont les softs de très gros calibre nés sur ce hardware. Aujourd’hui, avec le recul, si l’on demande à plusieurs initiés de dresser la liste des hits incontournables de la machine, il y a quelques titres récurrents qui se positionnent inlassablement en tête de celle-ci. L’une de ces perles est un Shout’em Up totalement exclusif à l’Amiga : Agony.

C’est donc en compagnie de Marc Albinet (graphiste) qui a eu la gentillesse de répondre à nos questions, que nous allons nous plonger dans les méandres extraordinaires d’Agony.

Alestes, rien de nouveau ? Menteur !

Acanthropis, le grand maître magicien, s’affaire dans son sanctuaire lorsqu’il découvre le sortilège ultime qu’il poursuivait depuis toujours : le Pouvoir Cosmique. Hélas, son grand âge l’ayant affaibli, il comprend que le prix à payer pour cette connaissance est sa vie. Avant de rendre son dernier souffle, il décide de confier ses connaissances à l’un de ses deux apprentis Alestes et Mentor. Afin de porter un choix, il les soumet à un combat singulier dont l’issue fera du vainqueur le gardien des parchemins sacrés du Pouvoir Cosmique. Lors du test, la sagesse d’Alestes fait la différence et lui permet de remporter l’épreuve. Mentor, fou de rage, s’empare alors des parchemins et s’enfuit, semant le chaos et la terreur derrière lui. Prenant l’apparence d’un hibou dévoreur de distances, Alestes doit à présent voler comme le vent jusqu’au repère de Mentor afin de lui arracher le Pouvoir Cosmique dont il fait un usage maléfique. Seule son habileté à voler, sa bravoure au combat et sa connaissance des arts mystiques pourront faire la différence…
« J’avais prévu d’intégrer une introduction animée qui devait retraduire en images la fameuse épreuve infligée à Alestes et Mentor et son dénouement. Il faut dire que j’avais fait des études de cinéma à la fac et je voulais en tirer parti pour mettre en scène le scénario épique du jeu et apporter par la même occasion un peu de narration. Parallèlement, j’étais très admiratif des superbes introductions animées des productions Psygnosis et je voulais que notre jeu en ait une similaire. Comme j’étais un très grand fan du dessin animé Les chevaliers du Zodiac, je voulais que cette animation donne l’illusion d’un Manga, notamment grâce à l’utilisation de nombreux scrollings (NDLR : un peu comme dans celle de Leander). J’ai donc tout d’abord dessiné une douzaine de pages A4 de story-board afin de générer ensuite les décors et les personnages sur le logiciel Deluxe Paint. J’avais bien avancé lorsque je me suis aperçu que le rendu à l’écran ne me satisfaisait pas et que l’ouvrage allait devenir bien trop ambitieux pour nos modestes moyens. Je me suis alors résolu à abandonner l’idée. »

Cette introduction, qui ne verra donc jamais le jour, avait cependant déjà été annoncée dans les previews des magazines, jusqu’à être même évoquée dans le manuel officiel du jeu (imprimé avant l’abandon). D’après les magazines on pouvait lire qu’elle devait durer plus de 6 minutes, être accompagnée d’une musique dédiée de 200 Ko, comporter une soixantaine de plans et surpasser le visuel de Dragon’s Lair et Shadow of the Beast 2 réunis ! Quel dommage que cette phase ne se soit pas concrétisée.

Un jeu super chouette

C’est donc dans un contexte imprégné de contes mystiques, que le jeu prend racine. Et pour coller à cette ambiance plutôt inhabituelle pour un shout’em up, la charte graphique est adaptée en conséquence. Ainsi, la métamorphose d’Alestes est prétexte à l’intromission d’un volatile nocturne qui se substitue à merveille au banal vaisseau spatial que l’on trouve dans les classiques du genre (R-Type, Salamander, etc.). Les décors galactiques et vides sidéraux font place à de somptueux paysages bucoliques et les sempiternels aliens et autres méchas sont remplacés par d’innombrables créatures animales, végétales et minérales. Quand aux Power-up, ils prennent ici l’apparence de parchemins et de potions magiques. Avec de tels choix vraiment peu communs, l’entreprise aurait pu sembler risquée mais le résultat est là : nous sommes bel et bien en présence d’un hit.
« En fait, le scénario a été rédigé seulement après que le jeu eut été terminé. On a alors bricolé une histoire un peu fantastique qui pourrait coller avec nos choix graphiques un peu spéciaux. »

L’art et la magie

Tout commence avec une initiative peu commune de la part d’UbiSoft qui a consisté à louer un château en Bretagne (à Montneuf) afin d’y héberger tous ses créatifs. Marc Albinet y rentre comme graphiste sur la version Commodore 64 d’Iron Lord.
« C’était vers 1985-1986. Une moitié du château était loué par Ubisoft alors que l’autre était encore habité par le châtelain. La partie qui nous était réservée comprenait des locaux pour travailler et des chambres individuelles. Nous étions nourris par un traiteur et nous ne manquions de rien. Il faut imaginer une quinzaine de gamins de 18 à 20 ans cohabitant dans un château à deux pas de la mystérieuse forêt de Brocéliande. Autant dire que nos activités étaient plutôt nocturnes. Certaines nuits ont même fait l’objet de recherches de passages secrets et autres souterrains (rires). L’ambiance restait toujours bon-enfant et cette situation stimulait franchement le côté créatif ! Ce fut une expérience très amusante et vraiment peu commune. C’est d’ailleurs dans ce contexte qu’ont été créés des jeux tels qu’Iron Lord ou Puffy’s Saga pour Commodore 64. »

Marc Albinet, qui est issu de Commando Frontier, un groupe de demomakers sur Commodore 64, passe ainsi deux étés consécutifs dans ce château où il fait la connaissance d’Yves Grolet et de Franck Sauer. Par la suite, avec le programmeur Yann Robert, ils fondent Ordilogic Systems qui donne naissance au fabuleux Unreal.

Mais à cette époque, service militaire oblige, Yann Robert est appelé à servir sous le drapeau tricolore. Nos compères, ainsi amputés d’un de leur membre, se retrouvent un jour chez Yann pour décider du prochain jeu sur lequel ils pourraient se pencher. Marc, qui a une expérience certaine dans ce type de soft grâce à son précédent jeu Ilyad, propose alors la réalisation d’un Shout’em up.
« En fait, cette décision est principalement née d’une discussion entre les passionnés que nous étions. Les Shout ‘em up ne nécessitant généralement pas de gros moyens, j’ai trouvé l’idée opportune dans notre situation. Mais si c’était effectivement le cas en théorie, notre penchant à tous pour les choses toujours plus compliquées a fait que nous nous sommes finalement lancés dans un truc beaucoup plus complexe que ce qui était prévu (rires). »

Le chantier débute en août 1991. Un mois plus tard le jeu est plutôt bien avancé puisqu’une première maquette est déjà prête. A cette période se tient justement le très célèbre ECTS à Londres qui est l’occasion inespérée pour l’équipe de faire connaitre leur projet. Et la cible choisie n’est pas des moindres puisqu’il est décidé de montrer cette démo à un éditeur de renom : Psygnosis.
« Le programme n’en était qu’à ses prémices mais le scrolling était là. Nous sommes alors allés voir les gens du stand de Psygnosis et nous leur avons montré notre maquette. Ils ont tout d’abord jeté un bref coup d’œil rapide. Puis ils sont carrément allés chercher les programmeurs de Shadow of the Beast afin de leur demander leur avis. Cette rencontre avec de telles légendes a d’ailleurs été pour nous un grand moment. Les programmeurs ont alors essayé de comprendre comment on avait fait pour réaliser les fameux scrollings, mais finalement ils ont conclus par « We don’t know ! ». Du coup, impressionné par la prouesse, Psygnosis à signé un contrat avec nous afin de mener le jeu à terme. Autant dire que nous sommes ressortis de l’ECTS plus boostés que jamais ! »

C’est ainsi qu’au bout de 5 à 6 mois de développement au total, le jeu est terminé et prend le nom définitif d’Agony.
« Le titre du jeu a émergé d’une sorte de petit brainstorming entre nous. On aimait bien les noms simples mais qui marquent bien l’esprit. Avec Unreal, on s’était rendu compte qu’on avait commis une petite erreur à ce niveau : du fait de sa première lettre éloignée dans l’alphabet, notre jeu se retrouvait toujours en bas des listes dans les magazines, ce qui est un peu pénalisant. C’est pour cette raison que l’on a choisi un mot qui commence par un A. Et puis Agony est un titre qui claque bien, non ? (rires) »

Sorti sous le label Art & Magic (qui a été créé entre-temps par les 4 membres de l’équipe), Agony est finalement édité par Psygnosis en 1992.
« Les salaires chez Psygnosis étaient confortables par rapport à ce que je gagnais chez Ubisoft où je travaillais beaucoup plus à façon, principalement motivé par le fun. C’est grâce à Psygnosis que je me suis rendu compte qu’on pouvait vivre de ça ! »

Le chef d’œuvre de pixel

Agony, c’est tout d’abord une réussite graphique incontestable puisque ce jeu est considéré comme l’un des plus beaux de la logithèque Amiga. Il a d’ailleurs fallu le concours de deux graphistes pour venir à bout des très nombreux écrans et sprites qui le composent.
« Nous nous étions distribué les niveaux afin de partager le travail. Je m’occupais de l’intégralité des graphismes des levels 2, 3 et 5 alors que Franck se chargeait de ceux des levels 1, 4 et 6. Je me souviens que pour les arbres du niveau 2, je m’étais inspiré de peintures romantiques du XIXe.»

Au total, ce sont 3,5 Mo de données qui ont été nécessaires uniquement pour les pixels. Cette somme d’octets se répartit notamment dans 6 écrans de présentation inter-niveau d’une splendeur rarissime. Chacune de ces images, créées par Franck Sauer en 64 couleurs plein écran, est une œuvre d’art à elle seule.
« Franck est artistiquement très impressionnant. Il dessinait à main levée ce qui m’aurait demandé des heures de travail. Il avait beaucoup de références photo dans lesquelles il puisait matière et inspiration. Il partait parfois de réelles illustrations et les modifiait afin d’obtenir un rendu qui lui était propre, mais il savait tout aussi bien créer des compositions originales. C’est un artiste complet et de très grand talent.
Le plus difficile pour les graphistes à l’époque, était de se constituer une banque de textures réalistes. Du coup, on employait tous les moyens qui nous étaient donnés pour en trouver, jusqu’à faire des expéditions à la campagne afin de prendre des photos d’éléments naturels.»

S’il était déjà bien rare qu’une telle attention soit apportée pour rendre supportables les temps morts que provoquent les chargements, cela l’était encore plus pour seulement quelques secondes d’affichage à l’écran. En effet, grâce à une routine de compression très puissante, les temps de chargement ont été réduits au maximum et c’est à peine affichées que ces magnifiques illustrations s’évanouissent pour laisser place à l’action… une action qui est d’ailleurs elle-même édulcorée de superbe sprites et décors animés. Pas moins de 144 couleurs simultanées bigarrent chaque niveau, et si les innombrables ennemis ne possèdent pas d’animation complexe, la chouette que l’on dirige, en revanche, se meut de façon ultra-réaliste. A chaque battement d’ailes, on croirait voir évoluer le véritable rapace tant ses mouvements ont été reproduits avec soin et justesse.
« Franck a fait un travail extraordinaire pour cette animation. Je sais qu’il s’inspirait souvent des travaux d‘Eadweard Muybridge, un photographe devenu célèbre pour ses décompositions photographiques du mouvement au XIXe siècle. Et je ne serais pas étonné qu’il se soit appuyé sur ces archives pour obtenir un tel réalisme. Les nombreux sprites de la chouette occupaient une place assez conséquente en mémoire, ce qui a conduit à une simplification des animations des autres monstres. D’ailleurs j’en profite pour préciser que Psygnosis ne nous a jamais imposé cet animal comme on peut le lire parfois. C’est une décision que nous avons prit nous-mêmes, pensant faire plaisir à la firme le fameux jour où nous avons été les démarcher lors de l’ECTS. Nous n’avons d’ailleurs jamais eu de retour de leur part sur ce choix. En tout cas, cette idée d’incorporer une chouette nous avait bien fait rire.»

Mais s’il y a un point sur lequel l’équipe de développement peut être vraiment très fière, c’est au niveau de la gestion de l’animation.

Il faut dire qu’en 1992 la concurrence est rude. Le hardware de l’Amiga 500 est totalement maîtrisé et nombre de jeux qui voient le jour autour de cette période sont très aboutis. On se souvient sans peine de Shadow of the Beast 3, Jim Power, Project-X, Lionheart, Super Frog qui offraient tous des rendus graphiques spectaculaires pour des animations sans faille. Difficile, donc, de se démarquer dans cet agglomérat de hits en puissance sans surprendre et émerveiller encore un peu plus le joueur. Art and Magic, conscient de cet état de fait, élabore alors pour son jeu un procédé d’animation totalement unique et novateur. Et c’est ainsi que pour la première fois dans l’histoire de la machine, est introduit le Trial Playfield. Cette technique, créée spécialement pour l’occasion, permet d’obtenir un rendu 3D au niveau des décors. Pour faire simple, il s’agit de faire défiler des plans à des vitesses différentes pour donner l’illusion de 3 dimensions.
Classique ? Pas tant que ça… Car là ou se situe la différence avec les nombreux scrollings parallaxes d’un Shadow of the Beast, c’est qu’au lieu de simples bandes superposées, ici chaque plan occupe la totalité de l’écran ! Pour imager un peu mieux ce procédé, il suffit de s’imaginer 3 calques de même taille que l’on superpose et que l’on fait glisser l’un sur l’autre simultanément, dans la même direction, mais à des vitesses différentielles (plus le calque est éloigné, moins il défile vite et inversement, celui du fond étant même statique). Enfin, si par-dessus ce décor en mouvement, on ajoute une ultime couche composée de tous les sprites du jeu, l’ensemble donne alors l’illusion d’une scène composée de 4 plans distincts (annoncés fièrement au dos de la boîte du jeu). Le rendu est saisissant car on n’avait encore jamais vu un effet de profondeur aussi réussi auparavant. On mesure d’autant plus la prouesse lorsqu’on constate que l’ensemble reste incroyablement fluide malgré les nombreuses petites animations disséminées dans certains plans qui viennent donner vie à tout cet enchevêtrement de pixels magnifique.

Une autre astuce, qui avait déjà été employée dans Unreal, est réutilisée dans Agony. Il s’agit du procédé de Palette Swap qui consiste en un affichage très rapide et alterné de deux palettes de teintes proches pour une même image. Cela permet alors, au prix peu élevé d’un très léger scintillement, de doubler le nombre de couleurs visibles dans les dégradés du décor de fond.

Un ramage qui se rapporte à son plumage

Mais Agony, c’est également une fabuleuse concentration de compositions musicales toutes plus grandioses les unes que les autres. Généralement très orchestrale, chaque mélodie apporte toutefois son atmosphère propre. Alors que certains morceaux traduisent une ambiance grave et majestueuse, les rythmes quand à eux appuient de fort belle manière une action omniprésente et oppressante. Le soft dispense alors des thèmes épiques dignes des plus grands films d’Heroic-Fantasy, ce qui n’était vraiment pas monnaie courante à l’époque et surtout pour ce type de jeu.

Une fois encore, pour cet aspect du jeu, c’est une pléiades d’artistes qui a été mise à contribution. Pas moins de 8 musiciens au total se sont penchés sur les symphonies d’Agony. C’est bien simple, depuis le lancement du jeu jusqu’à la fin, il n’y a pas un seul blanc sonore. Même les phases de chargements inter-niveau distillent de courtes mélodies. Mais s’il est un thème qui a marqué les tympans à jamais, c’est bien celui de la page de présentation. Composée par Tim Wright et principalement jouée au piano, cette mélodie mélancolique et émouvante a littéralement traversé les âges et est considérée comme l’une des plus belles ayant existée sur Amiga.
« La plupart des musiciens qui ont composé pour Agony ont été rapportés par Psygnosis. Par contre, pour l’occasion j’avais moi-même ramené Jeroen Tel, un génie musical sur Commodore 64. »

Les bruitages, quand à eux, bien que plutôt sobres, n’ont pas été oubliés puisque seulement 3 voix ont été utilisées pour la musique, laissant ainsi la 4ème voix libre pour les rendre audibles.

Un jeu pour ceux qui en ont dans la hulotte

Au cours de l’histoire vidéo-ludique, ce genre de déballage technique et artistique a hélas trop souvent dissimulé une carence au niveau du gameplay. L’alchimie entre toutes les caractéristiques d’un jeu d’une telle envergure est souvent très difficile à obtenir et c’est en général le plaisir de jeu qui en fait les frais. Mais pour cette fois et pour le plus grand bonheur du joueur, il faut avouer qu’Agony réalise l’exploit de marier sublimement l’ensemble, sans avoir à rougir aux côtés des plus grands Shout’em Up de l’époque.

En plus d’une réelle cohérence entre les éléments, il est évident qu’un soin tout particulier a été apporté dans leur évolution au fil du jeu. En effet, la difficulté pratiquement absente du premier niveau se corse graduellement pour se transformer petit à petit en un véritable enfer requérant dextérité et concentration face aux hordes ennemies qui arrivent selon des schémas de trajectoires variées et assassines. A l’image de cette difficulté croissante, les paysages bucoliques et enchanteurs du début deviennent un peu plus sombres et torturés à chaque nouveau niveau. Et même si ces décors attirent irrémédiablement l’œil, il faut absolument garder le second sur l’action si l’on ne veut pas perdre une vie et la totalité de son armement à cause d’une petite inattention. Cette difficulté qui devient vraiment très élevée, voir insurmontable dans les ultimes minutes, est d’ailleurs l’occasion de montrer toute la puissance du moteur de jeu qui se permet alors d’afficher en toute fluidité une multitude de sprites à l’écran, jusqu’à même en altérer sa lisibilité.
Le bémol que l’on pourrait soulever se situe au niveau de la durée d’une partie puisqu’il suffit de seulement 4 minutes pour boucler un niveau. A raison de 6 niveaux au total, 25 minutes suffisent donc pour finir le jeu.
« A l’époque je n’avais pas vraiment d’expérience dans le domaine du level design. C’est en jouant moi-même que, petit à petit, je choisissais la place des ennemis dans le décor ainsi que leurs rythmique, quantité et mouvements. Je donnais ensuite ces informations à Yves qui codait mes souhaits. C’était très artisanal puisque j’ajustais moi-même cette jouabilité. De l’équipe, j’étais d’ailleurs le seul à arriver au bout du jeu. Aujourd’hui cela à bien changé puisque nous disposons de personnel uniquement affecté à cette tâche de testing ! »

La sueur qui perle et le sang qu’hibou

En conclusion, si le soft expose des atouts clairement tape-à-l’œil, ils ne sont cependant en aucun cas simple poudre aux yeux. Dès la page de présentation le ton est donné et c’est jusqu’au bout que les promesses sont tenues. Le constat est évident : Agony est beau, amusant, immersif, riche et prenant. Le contrat est donc pleinement rempli par l’équipe d’Art and Magic qui signe ici un véritable hit sur la machine de Commodore.
Et c’est au panthéon des légendes du Shout’em up horizontal Amiga tels que Blood Money, Project-X, Apidya, Disposable Hero, Anarchy, Carcharodon ou encore X-Out, qu’Agony inscrit du bout de sa plus belle plume, son nom en lettres de feu.
« Pour finir, je dirais que, étrangement, Agony a beaucoup plus bénéficié d’un succès d’estime que commercial… allez savoir pourquoi. Quoi qu’il en soit, cela m’a vraiment fait plaisir de me replonger dans son histoire pour Pix’n Love et je remercie ma bonne étoile de m’avoir permis de rester dans l’univers du jeu vidéo ! »

Encadré : Intervention d’Yves Grolet

Yves Grolet, le programmeur, nous fait l’honneur de nous donner quelques précisions plutôt intéressantes :

«Le fait d’avoir été obligé de faire mon service militaire en plein développement a retardé le jeu d’au moins huit mois et a considérablement diminué la variété du gameplay que l’on s’était imaginé. Et si aujourd’hui j’éprouve toujours une grande fierté d’avoir programmé un tel soft, je me dis aussi qu’on était à côté de la plaque en se concentrant principalement sur le moteur graphique. Si c’était à refaire, l’affichage graphique serait plus standard et le gameplay bien plus profond.

Concernant le fameux Trial Playfield, la solution m’est venue en observant le fait que, lorsque l’on regarde une camera filmant un écran qui renvoie sa propre image, on obtient une infinité de plans (NDLR : comme lorsqu’on met deux miroirs face à face). Après Agony, j’avais même réussi créer un moteur de scrolling à 6 playfield fullscreen (contre seulement 3 dans Agony) avec la même technique. En fait, le parallaxe software créé était de nouveau divisé en sous-parallaxe software, mais dans ce cas, il avait 4 fois plus de temps pour se rafraichir. Ce quatrième plan était re-divisé en deux playfileds toutes les 8 trames et ainsi de suite jusqu'à 6 playfields. Ceci est une bonne illustration de ce qui se passe quant une camera filme la projection de sa propre image. Malheureusement, ce moteur à 6 playfield ne fut jamais utilisé.

Trivias :

- La sublime et envoûtante musique d’introduction d’Agony a été plagiée en 1996 par le groupe de black métal symphonique norvégien Dimmu Borgir dans son titre Sorgens Kammer que l’on trouve dans l’album Stormblast. En 2005, le groupe a ré-édité cette album en prenant soin d’enlever ce titre de la playlist.
- Cette même musique d'introduction a été tronquée lors de son incorporation dans le jeu à cause d’une sonorité qui présentait une mauvaise octave. Elle sera ensuite ré-orchestrée par Tim Wright lui-même et insérée dans la compilation commerciale Immortal 3 en Août 2008.
- Sur l’image d’introduction du jeu, le fait de taper le mot « FANTASY » déclenche le cheat-mode. Il suffit ensuite d’appuyer sur les touches de F1 à F4 durant la partie pour diverses tricheries.
- Sur les disquettes, chaque fichier est crypté avec une clef différente, ce qui rend la protection plutôt efficace.
- La jaquette a été dessinée par le talentueux Roger Dean qui signe ici, avec celle du jeu Ork, l’une de ses dernières créations pour Psygnosis.
- Le jeu a été développé pour fonctionner sur un simple Amiga 500 de base. Comme quoi beaucoup de jeux exceptionnels sont nés sur et pour de petites configurations.

Eric Cubizolle.