Interview de Titan (Eric Cubizolle)
Créateur de Vengeur


- Bonjour, tout d’abord pouvez-vous vous présenter ?
Je m’appelle Eric Cubizolle, j’ai 37 ans et je suis connu de la « scène informatique » depuis 1984 sous le pseudonyme de « TITAN ». Actuellement, je travaille dans une société où je suis technicien de laboratoire et correspondant informatique.

- Quand avez-vous découvert le CPC ?
J’ai eu mon premier contact avec l’Amstrad CPC grâce à un copain d’école qui m’avait invité chez lui pour me montrer sa machine flambant neuve. C’était un CPC 6128 avec écran monochrome (noir et vert). A l’époque j’avais un VG5000 Philips et je dois avouer qu’en voyant les capacités du CPC par rapport à mon propre micro, j’avais été complètement retourné ! En sortant de chez lui j’avais d’ores et déjà décidé de tout faire pour en avoir un moi aussi un jour.

- Aviez vous déjà été en contact avec l’informatique avant ? Comment et avec quel(s) micro(s) ?
Bien sur ! Ayant vu le jour la veille de Noël 1971, j’ai eu l’extrême chance de connaître les balbutiements de l’informatique domestique. Ainsi, comme tous les gosses de l’époque, j’ai tout d’abord eu droit à une console Pong et à quelques jeux vidéo portables de type Space Invaders et PacMan. Par la suite, lorsque l’informatique a commencé à percer dans les foyers, j’ai porté un œil très attentif sur les micro-ordinateurs. J’étais réellement captivé par les tous premiers micros que je voyais dans les réclames, à la TV. Je rêvais d’en posséder un.
Un soir, alors que j’allais dormir chez mon frère, ce dernier met entre les mains du petit garçon de 12 ans que j’étais, un superbe Oric qu’il s’était acheté d’occasion quelques jours plus tôt. Autant dire que la nuit fut très courte puisque je la passais à jouer aux nombreuses K7 de jeux et à triturer les mystérieuses commandes Basic du manuel de l’utilisateur.
Voyant mon grand intérêt pour ces machines, mes parents qui n’avaient pas beaucoup de moyens mais qui se saignaient pour faire plaisir à leurs enfants, m’offrirent, au Noël suivant, un VG5000 Philips… mon tout premier micro-ordinateur rien qu’à moi ! C’est sur cette machine que j’ai vraiment commencé à développer en Basic. Et même si le VG5000 n’était pas très puissant en comparaison des Thomson MO5 et autres Matra Alice qu’exhibaient fièrement mes copains, c’était une machine vraiment bien adaptée pour débuter avec l’informatique et, surtout, apprendre les rudiments du Basic. J’ai réellement beaucoup progressé sur ce micro et j’ai programmé énormément de petits logiciels pour m’amuser. J’ai aussi beaucoup joué sur les quelques titres que composaient la faible logithèque de la machine (Bris de glace, La tortue, La moto Infernale, US Rallye…).
Entre-temps, j’ai pu également poser mes doigts sur les consoles de jeux de mes amis, tel que l’Atari VCS2600, la CBS Colecovision ou encore la Sega Master System… Mais, je l’avoue, même si elle m’amusait un temps, ces machines ne m’apportaient pas le plaisir que j’éprouvais lors de l’utilisation d’un micro-ordinateur. En effet, même si elles étaient généralement bien plus puissantes et performantes que mon petit VG5000, il n’y avait sur ces consoles, aucune place pour la création et l’invention… seul le jeu avait sa place et cela m’ennuyait à la longue… Je ferais tout de même une petite exception pour la Vectrex que mon frangin (encore lui ! lol !) m’avait prêté pour quelques jours et qui m’avait totalement séduit à l’époque. C’était une console extraordinaire et j’adorais ses graphismes vectoriels lumineux.
Plus tard, lorsque j’eu fait le tour complet des possibilités de mon petit ordinateur et de tout ce que je pouvais en tirer, de nouveaux modèles plutôt attrayant arrivaient dans les rayons des magasins. Ces nouvelles machines (Commodore 64, Amstrad CPC464, etc…) étaient très puissantes pour l’époque et écrasaient littéralement mon petit VG5000 en tout point. Je rêvais d’avoir l’une d’entre-elles… Mais par manque d’argent, je devais hélas détourner mon regard de ces objets électroniques de convoitise. Mais un beau jour, le miracle se produisit…


Vengeur

A cette époque Je me constituais une petite collection de monnaies romaines et françaises que j’achetais pour quelques francs sur les marchés aux puces et autres bourses numismatiques de ma ville. Un matin, alors que je faisais l’acquisition d’un petit lot de monnaies romaines pour une bouchée de pain, j’eu la surprise de découvrir qu’une monnaie grecque s’était glissée parmi les autres. Après quelques recherches rapides, il s’est avéré que cette pièce d’argent était assez rare ! Dans les jours qui suivirent, je trouvais un acquéreur pour la-dite monnaie pour une somme plutôt rondouillette de 2000 francs : une somme considérable à mes yeux d’enfant ! Grace à cette vente, l’Amstrad CPC6128 de mes rêves se rapprochait à grand pas. Du coup, quelques jours plus tard je vendais mon VG5000 Philips, et grâce à un petit complément de mes parents pour Noël, j’obtenais ENFIN l’argent nécessaire à l’achat du tant convoité Amstrad CPC6128 couleur. Le CPC entrait dans ma vie. Non sans mal d’ailleurs… En effet, pour la petite histoire, je me souviens que, le jour où je suis allé acheter mon CPC, j’étais malade comme un chien. C’était un matin de décembre et il faisait très froid dehors. Une forte grippe me terrassait littéralement et la fièvre faisait constamment perler des gouttes de sueur sur mon front. Mais qu’à cela ne tienne, le jour était trop important pour que je laisse de sales petits microbes me le gâcher ! C’est donc l’argent difficilement rassemblé en poche que je sortais de chez le médecin, fiévreux et accompagné de mes parents, pour rentrer chez un revendeur agréé. Devant moi se tenaient un père et son fils. Dans les mains du petit se trouvait l’imposante boite d’un superbe Amstrad CPC6128 couleur que son papa venait de lui offrir. En le regardant, je me disais que se serait aussi mon tour dans quelques minutes. Une fois les clients partis, c’est avec un large sourire que je m’adresse fièrement au vendeur et lui demande de me vendre à moi aussi un CPC6128 couleur. Sa réponse monocorde résonna comme le glas lorsqu’il me répondit : « halalala, mon pauvre, je viens de vendre le dernier model aux clients qui étaient juste devant vous, je suis désolé ! Et le comble, c’est que nous sommes en rupture de stock : vous ne trouverez aucune autre machine ailleurs dans cette ville car on avait la dernière ! Il va falloir commander la votre… mais j’ai bien peur que vous ne l’ayez pas pour Noël de toute façon… ». A ces mots, le ciel me tombait littéralement sur la tête. Ffinalement, la rupture de stock occasionnera un petit retard de quelques semaines et j’ai eu mon micro quelques jours après Noël. Tout vient à point pour qui sait attendre, comme dirait l’autre…mais il faut avouer que ça fou quand même bien les nerfs !!! lol !

- Quand avez vous abandonné le CPC ?
J’ai abandonné le CPC en 1990… car je l’ai revendu pour m’acheter un Amiga 500. Les capacités des machines 16 bits étaient alors vraiment incroyables en comparaison de celles des 8 bits et je voulais absolument la meilleure du moment. C’est pour cela que mon choix s’est tout naturellement porté sur la machine de Commodore.
Par la suite, j’ai troqué mon Amiga 500 pour un Amiga 1200 sur lequel la nostalgie de mon CPC commençait déjà à naître puisque je l’émulais dès que j’en avais l’occasion, même si c’était plutôt poussif il faut l’avouer. Mais quelle joie et quelle performance de voir tourner à nouveau Sorcery sur mon Amiga ! C’est d’ailleurs à ce moment précis que je me suis mis à vraiment m’intéresser à l’émulation de manière générale.
- Qu’en pensiez-vous à l’époque et qu’en pensez-vous maintenant ?
A l’époque, mon CPC était la prunelle de mes yeux… ou presque ! J’y passais un temps infini et je trouvais toujours quelque chose de nouveau à en tirer. C’était pour moi la bécane indétrônable et aucune machine concurrente ne lui arrivait à la cheville ! Aujourd’hui, je continue de penser que c’était une machine vraiment formidable. Alors bien sur, avec le recul et la sagesse, on peut objectivement voir émerger quelques faiblesses et lacunes par rapport aux autres micros qui sont sortis à la même période. Par exemple, la qualité du son et des scrollings sur un Commodore 64 dépassaient largement celle d’un CPC…. Mais bon, globalement, le CPC avait vraiment des atouts indéniables. C’est le cas, par exemple, du graphisme : La palette de 27 couleurs vives était un vrai bonheur ! Son Basic était bien fourni et très abordable. Et puis Amstrad avait tout de même réussi la performance de proposer un micro complet pour un prix défiant toute concurrence… et avec seulement une seule prise à brancher (pour reprendre les pubs d’époque !). L’Amstrad CPC fut une machine définitivement conviviale et orientée très grand public.
- Possédez-vous toujours un Amstrad ?
Non, je n’en possède plus aujourd’hui. Mais ça n’a pas toujours été le cas. En effet, repris par la nostalgie vers fin 2000, j’ai sillonné les brocantes à la recherche de CPC. J’en ai d’ailleurs retrouvé une petite demi-douzaine que j’ai remis en état (souvent un remplacement de courroie du lecteur suffisait à faire repartir la bête). L’un d’entre eux m’a même permis, grâce à un lecteur 3 pouces ½, de dumper quelques-uns de mes programmes d’époque. Pris dans l’engrenage de la collection je m’étais même constitué une énorme collection de vieux micros et consoles avec des centaines de cartouches. C’est un passe-temps qui me dura quelques années avant que je ne décide de me séparer de toute ma collection par manque de place et de motivation. J’ai donné les CPC qui ont fait le bonheur d’un ami collectionneur d’ordinosaures.
Pour la petite histoire, durant cette période nostalgique j’avais également récupéré une GX-4000. J’ai vraiment été surpris par le poids plume de l’engin ! Mais son design était digne des meilleurs Star Trek ! J’ai également donné cette machine à un ami collectionneur par la suite.
Aujourd’hui, je me contente de l’émulation pour retrouver les sensations du CPC. C’est certes moins « oldschool », mais tellement plus pratique et moins encombrant, héhé !



Devilry


- Pourquoi un CPC ? Et qu’en faisiez-vous ?
J’ai opté pour le CPC pour tout un tas de raisons. Les principales étant qu’il s’agissait du micro offrant le meilleur rapport qualité-prix. Ensuite, c’est surtout pour ces capacités graphiques, sa logithèque impressionnante et aussi parce qu’autour de moi, la majorité de mes amis n’avaient que des CPC.
Les tous premiers temps j’ai surtout joué et bidouillé. Par la suite, m’apercevant des possibilités accrues que me proposait le Basic Locomotive de la machine par rapport à celles que j’avais connu sur VG5000, j’ai a nouveau eu l’irrésistible envie de créer quelques programmes. Et, de fil en aiguille, c’est finalement sur cette machine que j’ai été le plus productif. J’ai créé quelques démos (Animations, Slideshows…), quelques utilitaires (dont « Venus 5.2 » avec lequel je voulais imiter le célèbre Discology, ou encore « Dechavane House Music » qui permettait de remixer en temps réel une chanson techno grâce aux touches du clavier sur lesquels j’avais assigné des samples), un Fanzine (CPC-Mag), pour finalement me plonger dans la réalisation de jeux. Je me suis essayé à plusieurs types comme, par exemple, le jeu d’aventure « Devilry 2 », le casse-brique « Arkanium », et bien d’autres encore…

- Comment voyez-vous Vengeur aujourd’hui ?
Comme un soft inachevé dont la réalisation me fait un peu sourire… et sur lequel je porte un regard attendri tant il me rappel de bons souvenirs.

- Qu’est ce qui vous a poussé à écrire ce jeu ?
Trois raisons m’ont poussé à me lancer dans la réalisation de Vengeur.

La première, ce sont les graphismes du jeu « After the War » de Dinamic Software pour lesquels j’avais une admiration sans limite. J’ai toujours beaucoup apprécié et envié les graphismes des jeux espagnols sur CPC. Ils avaient quelque chose qui rendait le jeu vraiment magnifique. Ces artistes savaient manier l’anti-aliasing avec brio et marier les couleurs rouge, bleu et vert avec goût. Avec « After the War », j’ai trouvé qu’ils avaient tiré le meilleur de ce que pouvait offrir le Mode 0. Depuis, je m’étais juré que j’essayerais de programmer un jeu qui aurait des graphismes de cette saveur.

La deuxième, c’est un programme du nom de « Super Sprites » dont j’avais saisi les codes d’un listing paru dans un magazine dédié au CPC. Ce petit programme était destiné à aider le programmeur à animer des sprites bitmap sous Basic grâce, notamment, à des commandes simples similaires à celles que l’on trouve sous CP/M. Car il faut l’avouer, même si le Basic du CPC est de très bonne facture, il est très présomptueux de vouloir atteindre la qualité des jeux programmés en langage machine. Ainsi, le design et la gestion des sprites sous Basic est plutôt laborieuse… En Basic, il était par exemple très facile de déplacer de petits sprites monochromes crées via la redéfinition de caractères. Mais cela devenait (pour moi en tout cas) un véritable calvaire lorsqu’il s’agissait de gros sprites Bitmap de plusieurs couleurs (comme ceux que l’on réalise sur OCP Art Studio). Et je ne parle même pas de la fluidité de l’ensemble ! Bref, ce petit programme « Sprites » tombait vraiment à pic et m’a donc incité fortement à me lancer dans la réalisation de « Vengeur ».

La troisième et dernière raison est que je savais que dans un avenir très proche j’allais abandonner le CPC pour l’Amiga et je voulais quitter la machine en lui laissant une ultime production réunissant tout ce que je pouvais, à mon modeste niveau, faire de mieux. Je voulais créer un jeu d’arcade qui rassemblerait tout ce que l’on faisait de mieux à l’époque en matière de réalisation dans un jeu CPC… quitte même à mettre le paquet sur le visuel et le « tape à l’œil ». Le voulais de beaux graphismes colorés à « la mode espagnole », de la digitalisation vocale et musicale, de l’animation parfaite, des scrollings, un catalogue de disquette modifié, de nombreux sprites de grande taille, etc, etc…

Hélas, même si j’ai réussi à avancer la programmation de « Vengeur » assez loin pour en faire une Preview, ma migration vers l’Amiga se fera plus tôt que prévu et je n’aurais jamais le temps de terminer le jeu… C’est pour cette raison que la version disponible aujourd’hui semble certainement bien maigre au vu de mes ambitions initiales. J’ai surtout eu le temps de peaufiner sa présentation, mais le jeu lui-même n’est vraiment pas très avancé. Si je devais estimer son avancement, je dirais que la preview ne représente qu’environ 20% du jeu final que je voulais réaliser…

- Comment s’est déroulée sa conception ?
Extremement bien ! En effet, étant donné que sur CPC j’essayais tous les softs possibles et inimaginables qui me passaient entre les mains, aussi bien jeux qu’utilitaires, j’avais une très large vue d’ensemble des choses qu’il était possible de faire et quels logiciels pouvaient aider à les réaliser. J’avais même fait une liste de tout ce que je voulais inclure et retrouver dans Vengeur. De plus, j’avais une idée vraiment très précise du jeu que je voulais créer, ce qui rend la programmation plus rapide puisqu’elle n’est pas interrompue par des doutes ou des interrogations en cours de route.

Concernant l’histoire de la réalisation de Vengeur, elle est finalement assez simple. J’ai tout d’abord commencé par dessiner, pixel après pixel, les différents sprites du héros pour voir si je pouvais m’approcher du rendu obtenu dans le jeu « After the War ». Le plus difficile a été de placer et agencer les pixels afin d’obtenir un relief le plus réaliste possible au niveau des muscles. Une fois le découpage des mouvements effectué, j’ai fait quelques essais d’animations grâce aux routines de gestions des sprites. Les tests étant concluants, c’est à ce moment précis que j’ai décidé de me lancer vraiment dans la conception du jeu proprement dit. Si ces tests n’avaient pas donné les résultats que j’escomptais, alors Vengeur n’aurait certainement jamais vu le jour. Après plusieurs jours de programmation, j’ai décidé de me changer un peu les idées en me lançant dans la création de la partie « présentation » du jeu. Je sais qu’habituellement c’est une étape que l’on réserve pour la fin… mais j’avais envie, pour une fois, d’avancer dans la conception du jeu comme on avance dans sa découverte lorsqu’on y joue pour la première fois. Et ce qu’on voit en premier lorsqu’on lance le jeu, c’est sa présentation ! De plus, à ce stade, je savais déjà que je n’aurais jamais le temps de finir le jeu car la vente de mon CPC se profilait déjà à l’horizon… du coup, je voulais au moins essayer de réaliser les « prouesses » que je m’étais fixé au début du projet. Je me suis donc attelé à la réalisation de la page de présentation. Je voulais absolument créer une image en 16 couleurs. A cette époque, je jouais beaucoup à « Dragon Ninja », un beat’em up plutôt réussi. Et, la particularité de la version CPC était d’avoir une (superbe) image de présentation qui n’avait absolument rien à voir avec la jaquette de la boite du jeu, comme c’était le cas habituellement. Du coup, puisque cela n’avait pas été fait pour le jeu originel, j’ai décidé de relever le challenge de reproduire l’image de la jaquette de Dragon Ninja, tout en y apportant ma touche personnelle. C’est pour cette raison que l’image de présentation de Vengeur fait beaucoup penser à ce que l’on voit sur la boite de Dragon Ninja. J’ai ensuite attaqué la partie sonore. Pour la synthèse vocale, ce fut plutôt rapide puisqu’il m’a suffit de charger au démarrage des routines de synthèse vocale pour pouvoir faire dire tout et n’importe quoi au CPC. Concernant la musique digitalisée, j’ai du faire plusieurs essais avant de trouver celle qui aurait le meilleur rendu une fois transférée vers l’Amstrad. Il fallait trouver le meilleur compromis entre la qualité auditive et le temps total de l’échantillon. En effet, plus j’augmentais la fréquence d’échantillonnage, plus je gagnais en qualité, mais moins le sample était long… Et j’avais une cible maximum imposée de seulement 40 Ko. Je me suis vite rendu compte que les notes graves n’étaient pas très appréciées par ce procédé puisqu’elles devenaient carrément inaudibles une fois digitalisées. Il fallait donc que je privilégie une mélodie aux sonorités plutôt aiguës. Après avoir passé plusieurs titres, la musique « Electricity » de« OMD » (Orchestral Manœuvre in the Dark), un groupe électro des années 80, sembla bien encaisser le transfert. Mon choix s’est donc porté tout naturellement sur l’introduction de ce titre.
A ce stade du développement, les jours que je devais encore passer avec mon CPC 6128 étaient comptés. Et tous les projets que j’avais en tête pour Vengeur ne pourraient raisonnablement se concrétiser, j’en étais bien conscient. Du coup, pour ne pas laisser quelque chose de complètement inexploitable, j’ai très très rapidement dessiné un décor de fond (une ville au crépuscule) et deux ennemis aériens récurrents (plutôt ridicule d’ailleurs, lol !). Et afin de donner une pointe d’intérêt, j’ai mis en place un système de décrémentation de vies qui donne au moins un petit but au jeu : rester le plus longtemps en vie face aux au vagues d’attaques ennemies… Aujourd’hui, je me dis d’ailleurs qu’il aurait été plus judicieux d’introduire un système de score à battre. Chaque monstre éliminé aurait rapporté un nombre de points donnés et lorsque le joueur n’aurait plus eu de vie, le meilleur score aurait été sauvegardé et deviendrait le nouveau score à battre. Cela aurait été aussi rapide à mettre en place et bien plus amusant…

Le développement de Vengeur s’arrêtera donc brutalement, sans que j’ai le temps de me pencher sur les idées qui se bousculaient dans ma tête. Comme je le mentionne plus haut, j’avais pensé faire un scrolling du plan arrière, intégrer des ennemis beaucoup plus impressionnants et plus nombreux (on peut d’ailleurs voir les sprites de deux ennemis humains sur la partie basse de l’écran de jeu : je les avais mis là pour décorer, faute de d’avoir le temps de les intégrer au jeu) , développer une petite histoire avec des écrans inter-level au fil de 5 à 7 niveaux différents, écrire des petites mélodies, etc…

Lorsque je me suis séparé de mon CPC pour l’Amiga 500, j’ai vraiment été déçu du Basic de ce dernier. Pensant qu’à machine plus puissante, j’aurais droit à un Basic également plus évolué, quelle ne fut pas ma déconvenue lorsque je découvrais sur la machine de Commodore, un Basic complètement indigeste et vraiment pas convivial. Je regrettais amèrement celui du CPC. Le Basic avait fait son temps…


Venus, le nouveau Discology...


- Avez-vous rencontré des difficultés ? Si oui, lesquelles ?
Je ne me souviens pas avoir rencontré de réelles difficultés. Mais il faut dire que le temps de développement fut assez court pour que j’en rencontre de véritables… Ma seule crainte était que le jeu final dépasse la place qu’une disquette 3 pouces m’autorisait… soit 356 Ko au total (178 Ko par face). Par soucis de convivialité, je voulais vraiment que mon jeu tienne sur une seule et unique disquette. Pour cela, j’avais songé écrire le programme principal accompagné de tous les graphismes du premier niveau sur la première face et réserver la seconde face pour le stockage des graphismes de tous les autres niveaux. J’avais également compressé les fichiers contenant les graphismes du jeu afin de les rendre tous inférieurs à 17 ko. Je plaçais le gain de place comme une priorité car je savais que les « fioritures » sont souvent très gourmandes en Ko. Hélas, comme je le dis plus haut, je n’ai eu le temps d’utiliser que 93 Ko de la première face… (dont 40 Ko sont uniquement alloués à la digit de la musique de présentation !).
Enfin, j’avais une assez importante interrogation, qui se serait très certainement transformée en difficulté, sur la manière de créer un scrolling fluide pour le déplacement du décor en arrière plan lorsque le héros avance. Cela aurait d’ailleurs dû être la prochaine phase du développement du jeu… peut-être aurais-je vraiment piétiné sur cet aspect à l’époque, qui sait…

- Quels langages avez-vous utilisés ? Utilisez-vous des outils de programmation particuliers ?
Pour la programmation, j’ai utilisé uniquement le Basic Locomotive du CPC avec, en complément, les fameuses routines de gestion des sprites que m’offrait le logiciel « Super Sprites » et les routines de synthèse vocale.

Concernant les outils software, je peux citer : « The Advanced OCP Art Studio » que j’ai utilisé pour toute la partie graphisme, « House Music System » pour la synthèse vocal et « Echo Soft » (d’ESAT Software) pour la digitalisation sonore de la musique d’intro.

Concernant les outils hardware, un simple lecteur de K7 muni d’un cordon que je reliais à la prise K7 du CPC 6128. Le son de la K7 audio était alors envoyé au CPC par un simple appui sur la touche lecture, comme on l’aurait fait pour une K7 de jeu destiné au CPC 464. Le logiciel s’occupait alors de capturer le son et de le convertir au format numérique en un seul fichier.

- J’étais frappé à l’époque par la synthèse vocale ? Quel outil aviez-vous utilisé ?
Le logiciel « House Music System » se chargeait d’offrir des routines de synthèse vocale que l’on pouvait ensuite intégrer dans un programme Basic. Seul petit hic : les phonèmes avaient un accent anglais extremement prononcé ! Il a donc fallu que j’use de ruses et d’astuces pour rendre les phrases compréhensibles par nous autres Français. A titre d’exemple, pour la phrase « Ils vous attendent », il a fallu que j’entre « Il voo zattand ». Dans le même registre, pour la phrase « Pressez une touche », il a fallu entrer « Pressheh unne tooshe ». C’était assez drôle et j’avoue avoir gaspillé pas mal de temps à faire dire n’importe quoi à mon CPC par pur plaisir, héhé ! D’ailleurs, cet accent anglais se sent encore très bien dans les phrases de Vengeur, malgré tous mes efforts pour l’atténuer.

- Avez-vous des anecdotes de cette époque ?
Par centaines ! Mais il me faudrait certainement plus de pages que cette interview elle-même pour les retranscrire.

- Que pensez vous de la direction qu’a pris l’informatique aujourd’hui et de l’avènement du standard PC ?
Concernant l’avènement du standard PC, je pense qu’on y a tous gagné en termes de compatibilité, c’est indéniable. Le temps où les logiciels et les fichiers ne pouvaient s’échanger d’une machine à l’autre, ne serait-ce à cause d’une différence de formatage de disquette, était ENFIN révolu. Mais, en revanche, on y a perdu au niveau du choix et de la diversité des produits justement. Avant que les PC prennent le monopole, le consommateur avait un réel éventail de machines différentes parmi lesquels il pouvait faire son choix suivant les propres critères qu’il s’était lui-même fixé (design, prix, capacités, marque, etc…). Aujourd’hui, rien ne ressemble plus à une tour de PC qu’une autre tour de PC… Les guéguerres sympathiques et plutôt amicales que menaient les Amigaïstes et les Ataristes manquent cruellement aujourd’hui. Sans parler de la fabuleuse période de Noël où d’innombrables machines différentes remplissaient les étagères des grandes surfaces et illuminaient les yeux des enfants qui les parcouraient… De mon coté, ayant été un grand utilisateur d’Amiga, je regrette sincèrement que ce ne soit pas cette machine qui ai survécu et soit devenu le standard d’aujourd’hui à la place du PC. En effet, alors que cette machine proposait déjà en son temps des logiciels de grande qualité pour des capacités inégalées, le PC et ses possibilités plus que réduites paraissaient vraiment ridicules. Hélas, entre marketing raté et technologie laissé à l’abandon, l’histoire en décidera autrement. On en retiendra que ce ne sont pas forcément les meilleurs qui gagnent à la fin, mais souvent les plus malins… une excellente leçon !


Vengeur

- Que pensez-vous des jeux videos d’aujourd’hui ?
Même si je garde un TRES FORT penchant nostalgique pour les vieux jeux, je n’en reste pas moins également attiré par les jeux récents. Je profite d’ailleurs de cette perche tendue pour aborder le sujet sensible et délicat du « C’était mieux avant ». Je pense que même si l’on se défini comme un rétrogamer, cela n’implique pas forcément un rejet systématique des productions récentes. Il ne faut tout de même pas cracher dans la soupe, hein ! Il y a d’excellents jeux récents et dans de nombreuses catégories. Je pourrais par exemple citer le magnifique « Shadow of the Colosus » ou bien « Tomb Raider Anniversary » ou encore « Mario Kart Double Dash »… et bien d’autres encore. En fait, lorsque j’y regarde d’un peu plus près, je m’aperçois que ce sont surtout les émotions et sensations que j’ai ressenti à l’époque, plus que le jeu lui-même, qui font que je vais porter un regard attendri sur un vieux jeu et que je vais le défendre jusqu’à la mort, héhé ! Car, en toute objectivité, je pense sincèrement qu’aujourd’hui on prend un plaisir purement ludique beaucoup plus fort à jouer au dernier Tekken plutot qu’au tout premier Street Fighter. Je pense que si l’on ôte le contexte nostalgique qui entoure les anciens softs, beaucoup d’entre eux seraient relégués aux oubliettes aujourd’hui. Selon moi, ce qui donne une valeur ajoutée inestimable aux jeux rétro par rapport aux jeux récents, ce sont justement les bons souvenirs, les étonnements et les sensations exquises que l’on a eu avec à l’époque et qui ressurgissent de nos mémoires à chaque fois qu’on relance le jeu aujourd’hui… Le syndrome bien connu de la madeleine de Proust en définitif. Mais, fort heureusement, nombre de bons jeux rétros n’ont pris aucune ride aujourd’hui encore (Bomberman, Arkanoid, Fruity Franck, Bomb Jack, etc…) et mettent au rebus nombre de superproductions actuelles plus fades et insipides les unes que les autres.

Pour conclure, je dirais que comme par le passé, il y a aujourd’hui de très bons et de très mauvais jeux… et cela, quelques soient les moyens qui ont été employés pour leur développement. Et il ne faut surtout pas oublier que les jeux récents d’aujourd’hui seront les jeux rétro de demain. A titre d’exemple, je commence moi-même à éprouver de la nostalgie envers les tous premiers jeux Playstation et j’ai de plus en plus envie de les retrouver au même titre que les jeux CPC, alors que cela me semblait improbable il y a seulement quelques années…

- Des regrets concernant cette époque ?
Des regrets, peut-être pas… Mais surtout ENORMEMENT de nostalgie
C’était l’époque où tout était possible et où toute chose nouvelle, même insignifiante, émerveillait. C’était l’époque où, à des années-lumière des superproductions actuelles, un soft pouvait être programmé de bout en bout par une seule personne, au fin fond d’un garage ou dans sa chambre douillette.

La chose que je regrette le plus, peut-être, c’est qu’un Basic, ou un langage dérivé, ne soit pas systématiquement inclus (gratuitement) dans les systèmes d’exploitation des machines actuelles. Cela ouvrirait de nouvelles portes à la créativité des utilisateurs. Personnellement, ça me pousserait certainement à reprendre la programmation.

Je regrette aussi fortement de ne pas avoir gardé mon CPC quelques mois de plus afin de pouvoir terminer Vengeur !

- Avez vous gardé des contacts avec des acteurs de l’époque ?
Quelques-uns oui. Certaines personnes font d’ailleurs encore partie de la Demoscene CPC ou sont d’ex-crackers. Mais j’échange finalement très très peu, principalement par manque de temps. J’ai aussi repris contact avec quelques programmeurs CPC de l’époque.

Pour la petite histoire, le 20 Décembre 2000, Philippe Pamart, le créateur de la version disquette CPC du casse-brique « Titan » m’a contacté sur un Newsgroup car il n’avait pas gardé cette version au fil des années et que, par malchance, la seule qui était disponible sur Internet (en fichier DSK pour l’émulation) était la version cassette. Il faut savoir que cette version disquette, pour CPC 6128 donc, avait fait l’objet d’une attention toute particulière lors de son développement à l’époque, puisque quelques ajouts avaient été faits comme, par exemple, une page d’introduction animée, plus de musiques, plus de niveaux (80 au total : le double de la version K7 !) et de l’ombre projetée sous les briques, le tout pour un total de 160 Ko ! Après maintes recherches, j’ai réussi à retrouver cette fameuse version disquette, complètement par hasard, sur…… l’une de mes propres disquettes pirates que j’avais stocké dans un carton depuis près de 20 ans !!! Selon Mr Pamart, cette protection se trouvait en piste 1 ou 40 et comprenait un pseudo-secteur de taille 8192 (les pistes ne pouvait contenir que 6250 octets y compris les GAP de secteurs) qui était incopiable avec les copieurs connus de l’époque. Fort heureusement pour nous, ma version était totalement déplombée et les fichiers avaient un format standard facilement copiable : Le pirate de l’époque avait « bien » fait son travail. N’ayant pas encore moi-même le matériel pour dumper la précieuse disquette, je l’ai envoyé à un contact qui a fait la manipulation… et c’est ainsi qu’est apparu le fichier DSK de la version disquette de Titan dans le Rom-set CPC. Ce qui est drôle dans l’histoire, c’est que pour une fois, un programmeur était très content qu’un pirate lui déplombe son jeu !

- Que faites vous maintenant ?
J’ai suivi le destin du Basic et du CPC : ces derniers s’étant éteints, je n’ai plus du tout programmé depuis. Vengeur a été ma dernière création en termes de programmation.

Par contre, par la suite, je me suis lancé dans divers autres projets touchants tous de près ou de loin au retrogaming. Pour aller à l’essentiel, je citerais uniquement les principaux :

• Année 2000 : Création d’un site Web « CPCMuseum.com » orienté vers l’émulation CPC et le dumping de disquettes Amstrad. J’ai ensuite passé le relais à un ami car je ne trouvais plus le temps de m’occuper de ce site.
• 24 Septembre 2000 : Création du site Web « AmigaMuseum.emu-france.com » qui traite de l’émulation Amiga et de tout ce qui gravite autour de cette machine. Je maintiens toujours ce site actuellement et j’essaye de le faire évoluer le plus possible, malgré un emploi du temps assez chargé, hélas.
• Fin 2000 à fin 2005, je me constitue une très grosse collection d’anciennes machines (Micros, consoles et cartouches) dont je me sépare mi-2008.
• En Octobre 2002, je fonde avec Fredo_L, le « projet TILT » sur http://www.abandonware-magazines.org qui vise à numériser l’intégralité des célèbres magazines TILT afin de sauvegarder ce patrimoine. Le projet pend alors rapidement une ampleur exponentielle grâce à un engouement exceptionnel de la part des nombreux contributeurs. Le projet s’élargit alors à l’ensemble des magazines informatiques et est rebaptiser « Projet AbandonMag »
• Au milieu de l’année 2003, avec 4 autres compères, nous décidons de créer un remake amélioré pour Windows du jeu Amiga « Shadow of the Beast »qui portera le nom de « Beast 2003 ». Personnellement, je m’occupe des musiques, des bruitages, de quelques graphismes, des ripps et des idées de bonus. Après un départ motivé sur les chapeaux de roue, le projet s’éteindra malheureusement un an plus tard, en Juillet 2004 par manque de temps et de courage de la part de certains membres. Malgré tous mes efforts pour remotiver le groupe, le jeu ne dépassera jamais le stade de la démo jouable. En Décembre 2005, je décide alors de rendre publique tous les fichiers du remake afin de les mettre à la disposition d’éventuels programmeurs intéressés par la reprise de notre remake. Le site de Beast 2003 est ici :

http://amigamuseum.emu-france.com/Fichiers/sites/sotb/index_fr.html

• En 2005, je crée une compilation de 4 DVD vidéo regroupant plusieurs heures de vidéo de jeux Amiga, démos, images, intros, etc…. Ce sont les « AmigaMuseum DVD »
• Toujours en 2005, je réalise un DVD d’émulation Amiga du nom de « PS2Amiga » pour la console Sony Playstation 2.
• Début 2008, je réalise un rêve d’enfant puisque je me construis une borne d’arcade à base de MAME. Le détail de la construction est expliqué ici : http://titan08.free.fr/mamecab/mamecab.htm
• Fin 2007 j’intègre l’équipe de la rédaction du magazine français Pix’n Love. Ce magazine (ou plutôt « mook » pour la contraction de « Magazine » et « Book ») a pour mission de traiter, tous les trois mois, uniquement du retrogaming en proposant une approche légerement différente de ce qui a existé jusqu’ici. En effet, en plus de se présenter dans un format A5 de grande qualité proche d’un livre de bibliothèque, il a la particularité de proposer des études approfondies et de rechercher l’inédit dans ses récits (notamment grâce aux interviews des acteurs de l’époque dans le domaine du jeu vidéo retro tels que les programmeurs, graphistes, musiciens, etc.). Tous les domaines du jeu vidéo retro tel que l’arcade, les consoles et les micros y sont abordés. Depuis mon intégration à ce mook, ma motivation est à son comble et je ne cesse d’écrire toujours plus d’article et de rencontrer des personnes extraordinaires. Le site officiel de Pix’n Love est ici : http://editionspixnlove.fr/


CPC Mag, le fanzine...

- Un petit mot pour nos lecteurs ?
Je remercie chaudement toutes les personnes qui continuent à faire vibrer la corde de la nostalgie informatique car c’est uniquement grâce à cela que le patrimoine vidéo-ludique sera sauvegardé.

A ce sujet, j’en profite pour passer une annonce personnelle ! Lorsque je me suis séparé de mon Amstrad CPC en 1990, j’ai eu la bêtise de donner les disquettes contenant mes propres créations avec la machine. Fort heureusement, une connaissance avait conservé une copie de quelques-unes de mes disquettes dans un placard. C’est grâce à ça que 10 ans plus tard, en 2000, j’ai pu dumper quelques-unes de mes créations CPC afin de les rendre disponibles pour l’émulation. Ce fut le cas de Vengeur, donc. Malheureusement, beaucoup de mes softs manquaient à l’appel… C’est le cas du jeu « Devilry 1 », prédécesseur de « Devilry 2 ». En effet, si j’ai pu retrouver le 2eme et le dumper, ce premier opus reste aujourd’hui introuvable… Il en est de même pour les numéros de mon Fanzines sur disquette « CPC-Mag » supérieurs au 5. J’en profite donc pour lancer un appel aux hypothétiques possesseurs de ces programmes…

Merci beaucoup pour cette interview (qui s’est transformé en un véritable roman !!!) et pour l’intérêt que vous m’avez porté. Me replonger dans ces souvenirs fut un véritable plaisir.

Et comme on se plaisait à le dire à l’époque : « CPC Rulezzzzzzz ! » ;-)

Merci à Eric pour son temps et son enthousiasme.
(c) Amstradeus - Janvier 2009